COMMENT LES VALISES ET AUTRES BAGAGES SONT DEVENUS LE LUXE ULTIME ?

Exit les bagages sans charme, vive la valise trophée ! Alors que le trafic aérien ne cesse de s’intensifier, grands groupes et maisons de luxe font du sac de voyage un nouvel objet de désir à convoiter, entre esthétique iconique, innovations révolutionnaires et caution mode exacerbée.

Et si l’on parcourait le monde flanqué d’une pyramide de malles au design branché ? Si l’idée semble aussi chic que (peu) pragmatique, elle n’en reste pas moins issue de l’imaginaire de Pharrell Williams, qui lors du défilé Louis Vuitton du 18 juin dernier, semblait suggérer qu’un tel attirail serait désormais de rigueur pour passer d’un fuseau horaire à l’autre. Baptisée “The World Is Yours”, la collection mettait en scène d’imposantes malles Vuitton empilées les unes sur les autres, présentées sur des chariots poussés par des porteurs à la profession tout droit sortie d’un autre temps.

Une manière de dépoussiérer l’objet iconique popularisé par le malletier français en 1858 et de lui (ré)injecter une bonne dose de désirabilité, le tout à grand renfort de designs tantôt futuristes, tantôt traditionnels. C'est notre histoire”, rappelait Pierre-Louis Vuitton en septembre dernier, au micro de Loïc Prigent, dans le cadre des podcasts lancés autour de l’histoire de la maison. “Même si nous sommes entrés dans la maroquinerie et d'autres domaines, Louis Vuitton est avant tout un fabricant de malles.”

Malles et pièces de prêt-à-porter issues de la collection de Tyler, The Creator pour Louis Vuitton. Louis Vuitton

La revanche de la malle et de la valise d’antan

Bien que l’image soit inédite (et très instagrammable), ce n’est pas la première fois qu’une malle foule le catwalk tel un nouveau it-bag prêt à culminer au sommet des ventes de sacs à main d’une grande maison. Pour son premier show en tant que (tout nouveau) directeur artistique de Louis Vuitton, Pharrell avait déjà remis ostensiblement la malle sur le devant de la scène (ou du moins du Pont Neuf à Paris), puis lors de son second défilé façon Far West… avant de la twister subtilement lors de sa collaboration de mars 2024 avec le rappeur Tyler, The Creator, en version bagage cabine à roulettes ou micro-sac que l’on attache à la ceinture.

Ce que j'aime, c'est que les gens utilisent nos archives et notre histoire pour créer quelque chose de nouveau, et c'est tout simplement fantastique” poursuit Pierre-Louis Vuitton face à Loïc Prigent. Réputé pour son allure ultra-pointue, Tyler, The Creator est également à l’origine de deux collections capsules avec la marque Globe Trotter, révélant des bagages au design ultra désirable qui ne sont pas sans rappeler les valises d’antan. Un petit bijou d’accessoire qui, malgré son allure populaire, n’est pas à la portée de toutes les bourses puisqu’il faut s’acquitter de 2080 à 3900 euros pour pouvoir se l’approprier. Mais il n’est pas le seul à miser sur ces bagages au charme suranné.

En décembre 2022, Gucci inaugurait de son côté une boutique parisienne entièrement dédiée à l’univers du voyage au cœur du très convoité Faubourg Saint-Honoré, mettant en scène malles et valises vintage dans un décor de wagon de train inspiré par la Belle Époque. “C’est un symbole de notre héritage, réinterprété au fil des époques pour les voyageurs et les explorateurs des temps modernes du monde entier”, justifiait alors le PDG de Gucci, Marco Bizzarri, dans un communiqué. Ou quand le luxe s'approprie les accessoires de voyage oubliés de l’histoire, défenseur d’une conception résolument élitiste de l’évasion, avec supplément exclusivité.

La valise de Tyler, The Creato avec la marque Globe Trotter. Harper's Bazaar

Une conception ultra-luxe de l’évasion

Et pour cause, si la malle plate ou la valise à serrure furent de véritable révolutions dans notre manière de voyager, elles n’en étaient pas moins réservées à une poignée de privilégiés en mesure de voyager… et de les faire porter. Or, aujourd’hui à moins d’être une star hollywoodienne ou une héritière au train de vie princier, il semble peu réaliste de voyager avec les bagages jadis utilisés, qui se révéleraient pour Monsieur et Madame Tout Le Monde plutôt lourds, encombrants et peu adaptés aux modes de déplacements modernes. C’est donc, de toute évidence, moins en raison de leur praticité que du sentiment d’exclusivité qu’elles impliquent que les malles et autres valises vintage ont été subitement propulsées en ce début de XXIe siècle comme étant l’ultime snobisme à exhiber à CDG.

D’ailleurs, de Lionel Messi assis sur sa malle Vuitton au beau milieu du tarmac, à Ryan Gosling comptant ses sacs Gucci sur la plage, les égéries choisies pour incarner ces valises d’apparence vintage ne nous trompent pas. Une forme de distinction sociale finalement très bourdieusienne, qui pousse en parallèle les spécialistes de la valise moderne à revoir leur copie sur un mode résolument plus haut de gamme.

Designs au stylisme plus élégant chez Delsey, valises cabine à port USB pour Samsonite ou encore influences mode hautes en couleurs chez Lipault : les ténors du bagage premium rivalisent désormais d’imagination pour continuer à séduire une clientèle plus ou moins aisée qui serait tentée d’investir dans une valise de luxe logotypée, le tout sur fond d’explosion du marché.

Rimowa exposé au Museum of Contemporary Art Shanghaï en janvier 2024. Photo by VCG/VCG via Getty Images

Technologie vs. Style

Et pour cause, avec un nombre de voyageurs qui devrait atteindre les 7 milliards d’ici 2034*, les marques grand public comme les groupes de luxe mettent les bouchées doubles sur leur segment voyage. La dernière tendance observée ? Celle des gammes de valises haute technologie, comme la ligne du designer Marc Newson pour Louis Vuitton, avec sa valise réalisée en composite auto-renforcé à base de polypropylène, ou celle d’Ermenegildo Zegna en collaboration avec Maserati, en cuir de chevreuil imprimé avec mémoire de forme. Une manière pour le patrimoine artisanal de la maroquinerie de se doter de technologies dernier cri, comme pour mieux revendiquer sa supériorité sur le marché.

À l’inverse, certains conglomérats de luxe misent plutôt sur le rachat des marques de valises réputés plus techniques, à l’image de LVMH qui s’est offert en 2016 la marque allemande Rimowa, dont le modèle en aluminium ultra léger reste considéré comme la Rolls des valises à roulettes. L’objectif ? En faire une marque de mode à part entière à la rareté cultivée, en l’associant notamment à des labels ultra-désirables comme Off-White et Supreme en 2018 ou encore plus récemment au joaillier Tiffany. De quoi faire de la valise à l’esthétique clinique un objet de style, un accessoire-trophée, de ceux que l’on exhibe avec fierté. Et pour l’inscrire dans une forme de patrimoine à la valeur supposée inestimable, Rimowa s’est également entouré d’égéries variées et renommées telles que Roger Federer, Patti Smith, Rihanna… et même Kim Jones et LeBron James.

Bref, comme le souligne l’enquête “World Luxury Tracking” de l’Institut Ipsos Connect, les valises de luxe s’imposent résolument comme le it-bag d’un siècle placé sous le signe du luxe expérientiel, entre esthétique racée et technologie innovante. “Le bagage n’est plus une nécessité, mais un fidèle compagnon de voyage qui reflète un état d’esprit”, confiait Alexandre Arnault au Nouvel Obs, trois ans après avoir été propulsé à la tête de Rimowa. Celui d’une d’une allure singulière, d’une élégance à tout prix, qui comme le regard si cher à Diana Vreeland, se doit aussi de voyager.

*Source : Association internationale du transport aérien.

2024-07-27T11:39:05Z dg43tfdfdgfd