Quand elle part en voyage, Laurane, 40 ans, est du genre prévoyante. Très prévoyante. « La semaine prochaine, je pars une semaine à Marrakech . Sur cette compagnie, le billet est vendu sans bagage, avec juste un sac à main. Personnellement, j’ai pris une valise de 30 kg. On ne sait jamais ! », s’amuse cette directrice adjointe d’une agence de communication.
Elle confesse n’avoir jamais voyagé sans un bagage en soute. « Honnêtement, c’est impossible pour moi de partir avec une simple valise cabine. Je n’ai jamais réussi, pourtant je passe mon temps à voyager. » Pour elle, la raison est claire : sa salle de bains voyage avec elle. Soin rétinol, plusieurs crèmes solaires (visage, corps, jambes), masques capillaires, lisseurs et sérums pour ses cheveux… « J’ai essayé de rationaliser, mais ça ne rentre jamais dans le petit sac plastique qu’on nous donne. »
Même lorsqu’elle prépare ses tenues à l’avance, sa valise explose. « Je prends même des bijoux que je ne mets jamais… juste au cas où. » Et à chaque fois, elle se retrouve à payer un surplus ou à s’épuiser à traîner une valise trop lourde pour elle. Mais impossible de renoncer.
Fabienne, 56 ans, journaliste, se reconnaît dans cette peur de manquer. « Pas la bonne paire de chaussures, pas le foulard s’il y a la clim, pas le pull s’il fait froid… J’essaye de relativiser mais si j’oublie quelque chose, ça me met de mauvaise humeur. » Chez elle, c’est un schéma familial qui se répète : « Petite, les coffres de voiture étaient toujours pleins au moindre week-end. Je crois que ça m’a conditionnée. Mais c’est aussi lié à ma personnalité : je suis hyper indécise, j’hésite tout le temps. »
Ses points faibles ? Les chaussures et les cheveux. « Je prends toujours trois ou quatre paires, même si je n’ai que deux tenues. Impossible aussi de partir sans un appareil coiffant et une batterie de produits que je ne trouve jamais en format voyage. » Résultat : valises trop lourdes et reproches de son mari qui doit les porter. « Et à chaque retour, on réalise qu’on a trop pris... »
Le docteur Philippe Presles, médecin psychothérapeute, rassure : « Ce n’est pas une pathologie. Mais c’est de l’anxiété si une pensée de type « si… alors… » tourne en boucle dans votre tête. Ce peut aussi être le fait d’une rigidité psychologique, une structure obsessionnelle, s’il est impossible d’envisager de voyager sans absolument tout. Dans ce cas, le besoin de contrôle est réel. » C’est le fameux « au cas où ».
Dans son livre « Guérir de vos angoisses en 6 séances » (Éditions Robert Laffont), il explique le « bug de la peur » : « Nos amygdales cérébrales détectent les menaces autour de nous. Si une trottinette nous fonce dessus, elles déclenchent un shoot d’adrénaline et nous sautons en arrière. Le bug, c’est que notre cerveau ne sait pas faire la différence entre réel, imaginaire, fictionnel et virtuel. Quand on prépare sa valise et qu’une pensée surgit (« et si tu oubliais ? et si tu manquais de… ? »), nos détecteurs d’alerte réagissent comme si la menace existait. L’adrénaline, sans danger réel à éviter, devient alors de l’anxiété. »
Il ajoute : « Remplir sa valise à l’excès peut aussi être une manière de se rassurer face à l’inconnu. J’appelle cela un évitement furtif : je pars vers l’inconnu, et pour éviter cette peur, j’emmène tout ce qui peut m’aider. Comme quand un enfant a son doudou dans sa poche pour se rassurer. »
Voyager trop chargé a des conséquences très concrètes. « Cela peut créer des tensions dans le couple, souligne Philippe Presles, ou même des douleurs physiques : combien de lombalgies démarrent à l’aéroport ? » La surcharge alourdit aussi l’esprit. Comme Laurane ou Fabienne, beaucoup expriment un regret tenace : avoir payé, porté, trimballé des affaires finalement inutiles. Derrière la valise trop lourde se cache souvent la difficulté à lâcher prise, à accepter qu’on ne peut pas tout anticiper.
La bonne nouvelle, c’est que la tendance peut évoluer. Fabienne en témoigne : « Avec mes voyages professionnels, j’ai dû apprendre à remplir une valise cabine uniquement. J’ai découvert que c’était possible de faire des mini valises hyper efficaces. Il reste toujours une frustration, mais ça s’apprend. »
Le médecin confirme : « Faire sa valise est un apprentissage. Certains s’aident de listes, d’autres testent sur des week-ends courts. On apprend en observant les autres, en se trompant, en progressant. »
Voyager léger, c’est aussi accepter l’imprévu, se dire qu’on trouvera toujours une solution sur place… et parfois découvrir qu’en se délestant de sa valise, on s’allège aussi de ses angoisses.
En vidéo - Comment optimiser sa valise avant de partir en voyage ? la méthode Marie Kondo
2025-10-21T07:08:37Z