DROIT AUX VACANCES : L'éTé, RéVéLATEUR CRUEL DES INéGALITéS SOCIALES QUI EMPêCHENT DES MILLIONS D’ENFANTS DE PARTIR

C’est le top départ d’une longue période de vacances estivale. Pour tous les gamins, elle rime avec châteaux de sable sur la plage, plongeons dans la piscine, colo en plein air, visite chez les grands-parents, et parfois même avec la découverte de territoires aussi lointains qu’inconnus. Vraiment tous ?

Car en France, derrière cette image d’Épinal se cache l’ennui invisible des enfants les plus pauvres. Ceux qui n’auront d’autre choix que de tuer le temps dans les rues de leur ville ou entre quatre murs devant les écrans, à liker, de loin, les aventures de leurs potes.

Une fracture qui ne se referme pas depuis les années 1980

D’un été à l’autre, les statistiques restent les mêmes depuis les années 1980 : 40 % de familles resteront clouées chez elles, dont 4,8 millions d’enfants, d’après le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) en 2024.

Selon le baromètre de l’Observatoire des inégalités de 2018, 50 % des enfants des familles les plus modestes ne partent pas en vacances (ils étaient 40 % en 2004), contre seulement 5 % de ceux dont les parents sont des cadres supérieurs. Même constat pour l’Insee en 2021, qui observe que plus d’un enfant sur dix de moins de 16 ans (10,6 %) ne peut pas s’évader – y compris dans la famille – au moins une semaine par an.

Et ce pour des raisons financières. Mais ces chiffres invariables masquent des inégalités qui, elles, s’accentuent d’année en année. Dans son livre Sociologie du tourisme (la Découverte, 2016), coécrit avec Saskia Cousin, le sociologue spécialiste des vacances Bertrand Réau décrypte ces différences en fonction des groupes sociaux.

« On s’aperçoit que les classes supérieures partent trois fois plus que les ouvriers, six fois plus lorsqu’il s’agit de voyages à l’étranger en dehors de la famille proche. Et puis il y a ceux qui s’en vont plusieurs fois dans l’année dans des formules diversifiées. Ces écarts se creusent depuis le début des années 2000 et ils se sont accélérés récemment avec l’inflation et les crises énergétiques. Les classes moyennes, elles, partent aujourd’hui moins souvent, moins loin, moins longtemps et dépensent moins sur place. »

« Aucune politique globale n’a jamais été pensée »

Depuis le vote de la loi de 1936 sur les congés payés, le temps libre des enfants a profondément évolué et les vacances se sont transformées en une nouvelle forme d’apprentissage et d’épanouissement.

Il y a quatre-vingt-neuf ans, seulement 15 à 20 % des familles faisaient leurs valises pour goûter aux joies d’un ailleurs qui rompt avec le stress du quotidien. Mais si le droit aux vacances est inscrit dans la loi depuis 1998, il n’en demeure pas moins que « les pouvoirs publics ne l’ont jamais vraiment perçu comme une forme d’impératif », note Bertrand Réau.

Instauré en 1981 après l’accession de François Mitterrand à la présidence et sous le gouvernement Mauroy, le ministère du Temps libre ne survivra pas plus de trois ans. Depuis, les secrétariats d’État au Tourisme se succèdent – sous le prisme principalement économique –, mais jamais un secrétariat dédié aux vacances n’a vu le jour.

« Chaque année, à l’approche de l’été, les mêmes députés alertent sur le droit aux vacances. Et puis plus rien. Aucune politique globale n’a jamais été pensée. Aucun projet de loi. Aucune commission qui pourrait faire un état des lieux. Tout reste segmenté : le travail, l’école, les temps libres, qui eux ne sont pas du domaine de l’État. Que font les enfants durant la période des vacances ? Cette question reste un angle mort, avec un principe libéral : chacun fait comme il l’entend », déplore le sociologue.

Ce dernier, juste après le Covid, signait une tribune appelant à une politique globale du temps libre. « Alors que les enfants passent une partie de leur temps en dehors de l’école, il faudra bien avoir conscience que ce n’est pas un temps vacant socialement », insiste-t-il.

Partir ou ne pas partir, un marqueur social

Pour appréhender la question, encore faut-il commencer par comprendre comment est utilisée cette « culture libre », pour reprendre les propos du sociologue Pierre Bourdieu. Et à quoi elle sert. Car le constat est sans appel : partir ou ne pas partir représente désormais un véritable marqueur social.

« Cette culture libre qui passe par des savoir être, des savoir faire mais aussi par des connaissances acquises de manière différente est essentielle, estime Bertrand Réau. Si l’on étudie les vacances des enfants des classes supérieures, on s’aperçoit qu’elles se caractérisent par une grande diversité de formules : rencontrer des jeunes italiens, allemands dans les villages de vacances, découvrir les musées de New York lors d’un voyage familial, se socialiser au ski… Ces fonctions différenciées, cumulatives, seront réinvesties dans l’espace scolaire. »

Des études menées par des chercheurs américains montrent que les pertes de savoir représentent des retards accumulés. Au bout de plusieurs années, un ou deux ans d’écart se creusent entre les savoirs des enfants en fonction de ce qu’ils ont pu faire ou pas durant leur temps libre.

Ce qui fait dire à Bertrand Réau que « les temps de vacances ne sont pas en dehors de l’école. Ils font partie de la socialisation et de l’éducation globale de l’enfant ». Même constat pour l’association Jeunesse au plein air : « Les déficits d’apprentissage sur le temps de vacances ont des impacts négatifs sur le parcours scolaire et réduisent le champ des possibles à l’âge adulte. »

Et puis, partir avec ses parents, c’est aussi vivre des moments forts dans un contexte nouveau, avec de facto des relations éducatives différentes qui permettent de recomposer les normes, de créer d’autres liens. « Cette richesse-là est essentielle pour la construction sociale d’un enfant », soutient Bertrand Réau.

Les subventions se réduisent comme peau de chagrin

Pour les enfants condamnés à l’assignation à résidence, le sentiment de dévalorisation et d’exclusion sociale est d’autant plus violent. Tellement qu’ils préfèrent se faire discrets le jour de la rentrée, alors que les discussions tournent en boucle sur les rencontres amicales, voire amoureuses, de l’été.

Pour les parents, l’histoire n’est guère plus sympathique. D’après l’Observatoire des familles, « quand ils ne partent pas, 82 % se sentent coupables de ne pas pouvoir offrir plus à leurs enfants : 40 % évoquent les répercussions sur le quotidien de la famille (stress, fatigue), 24 % parlent de reproches et de tension avec les enfants ».

D’ailleurs, parce qu’ils ont bien compris que les vacances font fonction d’intégration sociale très importante, beaucoup privilégient le départ de leurs enfants, quitte à rester, eux, chez eux. Et si des aides financières, notamment via la CAF (Caisse d’allocations familiales), existent, elles sont souvent méconnues par les familles les plus modestes.

L’essentiel reste mobilisé par les classes moyennes, souvent salariées, qui utilisent les chèques vacances. Quant au passe colo du gouvernement, une aide de 200 à 300 euros pour les enfants vivant dans des foyers aux revenus mensuels inférieurs à 4 000 euros, il demeure une aide ponctuelle, sur un dispositif donné.

Les colonies de vacances sacrifiées sur l’autel de la rentabilité

Surtout, faute de communication efficace de l’État, il n’a profité qu’à 16 000 enfants, soit moins de 3 % des éligibles. Longtemps symbole des grands départs populaires, les colos ne font plus recette parmi les familles modestes ni même les classes moyennes.

En cause : leur prix exorbitant. Le véritable projet social d’ouverture et de mixité des colonies de vacances des années 1960 a été remplacé par des ambitions plus lucratives. Un choix politique : les subventions de la CAF aux centres de vacances sont passées de 75 millions en 1994 à 40 millions dix ans plus tard.

Beaucoup de collectivités territoriales qui jouaient encore le jeu et tentaient de garder coûte que coûte un patrimoine où logeaient les centres de vacances, avec un quotient familial avantageux, revendent petit à petit leurs centres, faute de moyens pour pouvoir les restaurer, sous le regard indifférent de l’État.

Ces mêmes collectivités offrent toujours des activités gratuites sur leur commune. Des associations comme le Secours populaire, la Croix-Rouge ou Jeunesse au plein air organisent des escapades d’un ou plusieurs jours, aident les familles à financer les séjours. Mais elles aussi dépendent de subventions qui se réduisent comme peau de chagrin. Il s’agit pourtant simplement de rendre les mois d’été plus justes. Une évidence qui ne semble pas bousculer nos gouvernants.

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2025-07-06T14:13:55Z