EN PLUS D’UN SIèCLE, COMMENT LES CONGéS PAYéS ONT CHANGé NOTRE FAçON DE PRENDRE DES VACANCES ?

Partir en vacances n’a pas toujours été considéré de la même manière qu’aujourd’hui. Les vacanciers existaient déjà au XVIe et XVIIe siècles et profitaient d’un temps de coupure en été pour faire les moissons. Avec l’amélioration des moyens de transport et l’urbanisation, la société a changé sa manière de fonctionner et de faire des interruptions dans leur vie quotidienne, notamment grâce à l’arrivée des congés payés, le 20 juin 1936.

Le moment tant attendu de l’année. Les vacances. La plage, le soleil, la tranquillité. On y pense, on les organise, et une fois qu’on y est, tout passe beaucoup trop vite. Aujourd’hui, parler de vacances est monnaie courante, on n’y réfléchit pas. Pourtant, ce phénomène est tout récent. Nous le devons à la loi sur les congés payés adoptée par le gouvernement du Front populaire, le 20 juin 1936. Un événement qui se place comme un véritable tournant historique. Jusqu’alors, seules certaines populations avaient la chance de s’offrir des moments de repos, pour des motivations complètement différentes d’aujourd’hui.

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L’invention d’un temps libre

« Les vacances des tribunaux et les vacances scolaires ont débuté dès les XVIe et XVIIe siècles », avance Jean-Didier Urbain, sociologue, linguiste et ethnologue spécialiste du tourisme. À cette époque, tout le monde ne bénéficie pas des mêmes moyens. Ceux qui le peuvent, ne partent qu’en été. Et ce n’est pas dû au hasard. « L’été, c’est la période à laquelle les enfants apportent de l’aide pour les récoltes dans un univers essentiellement rural, explique Jean-Didier Urbain. Dans ces années, les usines fermaient au mois d’août, donc on arrêtait la production et on laissait un peu les gens tranquilles. » Autrement dit, c’étaient les vacances. Ce terme bateau qu’on utilise à toutes les sauces pour justifier un peu de temps libre. En fait, « vacans » est le participe présent du verbe latin « vacare », qui signifie « être sans, être vide ». « C’est l’invention d’un temps libre, d’un temps en dehors de tout. » Et bien qu’il existe trois états vacanciers, « être », « avoir » et « partir », ce moment suspendu a changé de signification à travers les âges.

Au départ, pour une grande partie de la population, ce temps, c’est celui d’un peu de repos. C’est un moment de rupture avec le quotidien, parfois très fatigant. Mais plus les années passent, moins les vacances sont reposantes. Au XIXe siècle et au début du XXe, « le voyage est toujours associé à quelque chose de tragique », indique Jean-Didier Urbain, auteur du récent ouvrage Comment nos voyages parlent de nous ? publié en mai 2025. Pendant de longues années, le mouvement était causé par l’exode rural, par l’envie de quitter sa terre d’origine pour trouver du travail, ou par la motivation de l’engagement dans l’armée pour aller à la guerre. « Globalement, c’est plutôt associé à la mort, à la déchirure, à la tristesse. Ça n’avait rien d’euphorique », avertit le sociologue. En réalité, « il a fallu un certain temps pour passer du voyage punition au voyage récompense », avoue-t-il.

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Manque du goût des vacances

C’est au courant du XIXe siècle que les vacances comme on les connaît aujourd’hui sont inaugurées, lors d’une année marquante pour de nombreux Français : 1936. Le 20 juin, la loi qui généralise les congés payés en France est promulguée. Une avancée qui permet à tous les salariés de bénéficier, pour la première fois, de deux semaines de congé par an, payés par leurs employeurs. Dans ce grand groupe à l’initiative du texte, se trouve Léo Lagrange, alors sous-secrétaire d’État aux Sports et à l’Organisation des loisirs auprès du ministre de la Santé publique Henri Sellier. « C’est lui qui introduit un concept qui nous vient de nos voisins allemands, l’auberge de jeunesse, raconte Jean-Didier Urbain. Il rebaptisera ensuite ces auberges en écoles du tourisme. » Il le sait, le tourisme pour le loisir ne se produit pas de manière spontanée. Seuls les aristocrates se déplaçaient pour apprendre et parfaire leur formation universitaire, « c’est le grand tour du gentleman anglais au XIXe siècle », s’amuse le spécialiste français du tourisme.

Même si cette loi marque un véritable tournant dans la vie des Français, le goût des vacances n’est pas encore au rendez-vous. « Quelques semaines après l’approbation des congés payés, Léo Lagrange décide de faire des tarifs réduits sur les billets de train auxquels pourront donc accéder les 5 millions d’ouvriers qui viennent d’obtenir leurs premières vacances, assure le docteur d’État en anthropologie sociale et culturelle. Mais sur tous les tickets mis en vente, seulement 560 000 sont vendus, c’est à peine 10 %. »

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C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que les Français développent pour de bon leur attirance pour les vacances. Alors qu’ils ne sont que 2 millions en 1947, ils sont plus de 5 millions à partir lors de l’été 1951. Une première dans l’histoire des vacanciers de l’Hexagone, qui, en 1950, sont 15 % à s’offrir des vacances. Entre les années 1950 et 1960, même si seulement 40 % des Français partaient en vacances, 90 % d’entre eux le faisaient entre juillet et août. L’été constituait la véritable trêve.

Un moment de retrouvailles

Au même moment, la France des villages se transforme en France des villes. L’urbanisation attire et les campagnes se dépeuplent petit à petit. Selon Jean-Didier Urbain, « il y a une cause quasi-mécanique entre le désir de voyage et l’urbanisation d’une société ». La société est changeante, sa manière d’agir l’est également. En 1975, c’est un record qui est atteint avec le départ d’un Français sur deux en vacances. Ce pic reflète une autre réalité. Celle de profiter d’un congé pour voyager, « parce qu’on peut très bien être un vacancier sans être un voyageur », glisse l’ethnologue. Et voyager ne signifie pas faire le tour du monde. Dans les années 1970, « on voulait simplement sortir de la ville, c’était un moment de retrouvailles, un regroupement auprès des siens, un temps de convivialité », se rappelle celui qui a écrit plusieurs ouvrages à ce sujet.

Des déplacements permis par l’amélioration et le développement des chemins de fer à travers le pays. Par exemple, « les Parisiens se rendaient sur les plages de Normandie et leurs alentours. C’était pareil pour Montpellier avec Palavas », argumente-t-il. Sortir des villes pour aller sur les plages devient une nouvelle forme de vacances. Celles qui permettent de profiter du soleil, les pieds dans l’eau, loin de nos préoccupations quotidiennes. Et en 2000, un Français sur quatre se rend en bord de mer alors qu’en 1900, il n’y en avait qu’un sur 400.

« Instagramisation » du voyage

Après les années 2000, les vacances développent plusieurs sens, plusieurs usages. D’abord, avec l’obtention de cinq semaines de congés payés en 1982. Chacun peut couper son quotidien comme il l’entend à différentes périodes de l’année. En février, en octobre, pendant l’été ou encore en décembre. Tout est possible. Et nos vacances aujourd’hui sont « beaucoup plus fragmentées mais aussi plus courtes qu’avant », pointe Jean-Didier Urbain, qui se rappelle avoir eu deux mois et demi de grandes vacances, alors qu’aujourd’hui, « les jeunes coupent le 7 juillet et reprennent le 1er septembre, ça n’a plus rien à voir ».

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Puis, avec la poussée de l’ère du numérique, qui modifie les motivations. « Il y a une ‘Instagramisation’des régions, des sites et des touristes, constate le spécialiste du voyage. On voyage pour aller sur des lieux qu’on a vus en photo. On est dans une sorte de logique non plus de découverte mais de reconnaissance. » Nous sommes connectés partout où nous allons. Les vacances ont changé de sens, « c’est sans doute une vaste opération de socialisation. Montrer à l’autre où nous sommes allés et ce que nous avons fait. C’est vraiment aux antipodes de l’aventure qui signifie s’échapper d’un réseau, s’en évader », s’irrite l’ethnologue. Mais il existe encore des vacanciers qui se déplacent pour des motifs familiaux et culturels.

Et dans un monde où l’environnement peut faire pencher la balance pour choisir une destination de vacances, le moyen de transport joue un rôle important. Mais les Français ne sont pas des mauvais élèves en la matière. En 2025, selon une étude OpinionWay, 60 % des vacanciers estivaux utiliseront la voiture pour leurs déplacements, contre 17 % pour l’avion et 12 % pour le train. « On associe souvent le fait de prendre l’avion pour se rendre à l’étranger. Mais en fait, on n’y va pas tant que ça, encore moins en été. » Aujourd’hui, « la voiture et le train restent tout de même les deux modes de mobilité dominants. On peut également y ajouter le car et le camping-car, qui a totalement explosé ces dernières années », se réjouit Jean-Didier Urbain. Peut-être qu’un jour, d’autres modes de transport plus écologiques verront le jour, notamment grâce au développement des avions électriques, pour l’instant destiné à des vols privés. Peu importe l’époque, la vraie tradition des vacances, c’est de râler sur la météo et les autres vacanciers.

2025-08-13T05:01:03Z