Qui aurait cru que le farniente au bord de la mer ou les randonnées estivales en montagne étaient, en réalité, des plaisirs... inventés ? Car non, les vacances ne sont pas une habitude millénaire. Pendant des siècles, le repos n’était réservé qu’à une poignée de privilégiés, tandis que la majorité travaillait sans relâche, été comme hiver. Il faudra attendre les bouleversements de la révolution industrielle, les combats syndicaux et les réformes scolaires pour que les congés deviennent un droit pour tous. De la création des premières vacances scolaires au Front populaire de 1936, ce temps libre chèrement gagné raconte aussi l’histoire de notre rapport au travail, à la liberté… et au bonheur. Alors, à quand remonte vraiment la naissance des vacances ? Vous risquez d’être surpris. Stéphane Boissellier, professeur d’histoire médiévale à l’université de Poitiers et responsable du master mondes médiévaux, répond ax questions de Ça M'intéresse.
D’où vient le mot "vacances" ?
A l’origine, la vacance est une notion juridique et canonique. Le terme est tardif, il apparaît vers le XIe siècle. C’est le cas d’un office ecclésiastique qui n’est pas occupé : il est vacant, sede vacante (siège vide). Au Moyen Age, en France, les conseillers du Parlement, qui était une cour de Justice, avaient des périodes de "vacances" quand l'assemblée ne siégeait pas. Il est moins religieux que l'anglais "holiday" qui veut dire "jour saint". Dans les langues latines, on va plutôt parler de jours fériés, du latin feriae qui signifie "jours de fête".
Quand apparaissent les vacances ?
On en trouve des traces dans l’Antiquité romaine. C’est lié à l’organisation et la forme des élites. L'aristocratie possède à la fois des moyens extrêmement puissants et des lettres. Elle pratique ce qu’on pourrait appeler une forme de proto-tourisme. Cette élite va découvrir des choses exotiques. On peut lire des témoignages de ces aristocrates, comme dans les Lettres de Pline. Par exemple, le thermalisme est une forme de tourisme. On va certes soigner sa santé, mais il y a aussi des maisons de plaisirs sur les lieux de cure. Cette classe sociale a une véritable éthique de l’inactivité, du plaisir. C’est ce qu’on appelle l’otium, dont l’opposé donnera le négoce (negotium), qui est, justement, l’activité.
Retrouve-t-on ce goût du voyage et du loisir au Moyen Âge ?
Il y a eu des affirmations un peu trop générales sur le fait que les hommes au Moyen Âge se déplaçaient beaucoup. On entrevoit dans les comptes-rendus de voyages à but utilitaire (ambassade, pélerinage, croisade...) que les gens sont curieux et veulent voir certaines choses simplement parce qu'elles sont exotiques ou plaisantes. Mais les voyages, réservées à une toute petite élite, sont rarement réalisés uniquement dans cette intention.
Pourquoi une telle différence entre l’Antiquité et le Moyen Âge ?
Elle est liée à l'apparition de l'éthique chrétienne au IIe, IIIe siècle. À l’origine, elle est plutôt pessimiste et n’encourage pas le plaisir. Petit à petit, les élites de l’Antiquité romaine disparaissent, leur culture aussi. Le Haut Moyen Âge a hérité de la pensée des Pères de l’Église, très ascétique, assez doloriste et négative sur la condition humaine. Il y a ensuite une déculturation, les élites laïques perdent une forme de curiosité, d’ouverture vis-à-vis de nombreuses choses. Les loisirs, la curiosité se restreignent. L’univers mental se rétrécit.
Les gens bénéficient malgré tout de temps de repos… Comment s’organisent-ils ?
Du IIIe au XVIIIe siècle, durant une immense période, les structures ne se modifient sensiblement pas. Des interruptions de l’activité sont prévues à certaines périodes de l’année. La plupart des paysans ont des exploitations agricoles dont ils sont les gestionnaires. Ils s’accordent eux-mêmes des temps de repos, qui sont dictés par les conditions naturelles. En hiver, on travaille moins, par exemple. La notion de congé, ou de vacances, vaut surtout pour les salariés. Mais ce statut est loin d’être le plus répandu ! Il ne se développe qu’à partir du XIIIe siècle, principalement pour les activités artisanales, puis, de plus en plus, un salariat agricole apparaît. Ces employés peuvent bénéficier de périodes de repos qui sont prévues dans leur contrat.
Qui décide de ces moments de repos ?
Ils sont alignés avec le rythme religieux. Les dimanches, on ne travaille pas, cela a subsisté jusqu’à nos jours. Pour tout le monde, il y a des périodes de vacances forcées : les fêtes religieuses, qui sont très fréquentes. La puissance publique ne définit rien du tout, en tout cas pour les salariés agricoles. C’est un contrat purement privé, il n’existe pas de droit du travail. Dans le cadre des corporations de métiers, on peut malgré tout trouver des réglementations qui s’appliquent à l’ensemble de la profession. Mais cela reste spécialisé et le règlement de chaque confrérie ne vaudra qu’à l’échelle d’une ville.
Comment occupe-t-on ce temps libre ?
Lors des grandes fêtes religieuses, la journée est remplie par les célébrations liturgiques. Des rites collectifs comme des processions sont effectués. Les très grandes fêtes s’accompagnent également d'activités autres que religieuses : les corporations peuvent organiser des joutes. Les gens ne sont pas libres de leurs mouvements comme lors de nos vacances modernes, ils doivent participer à ces rituels collectifs. Et attention, en dehors de Noël et de Pâques, les autres jours ne sont pas forcément réellement chômés. Même si les textes canoniques le prévoient, dans le monde agricole, cela n’est pas toujours respecté.
Nos vacances sont-elles un héritage de ces jours fériés ? Une bulle pontificale de 1231 décrète un mois sans cours pour l’université de Paris.
Certes, l’université est une institution religieuse et l’acception de vacances, au sens moderne de congé sans activité, apparaît dans le milieu scolaire. Mais je répondrais non : la notion actuelle de ce terme est très liée à la scolarisation de masse du XIXe siècle, ainsi qu’à l’organisation du travail, c’est-à-dire à la généralisation du salariat, le rapport entre les patrons et les ouvriers… Ces éléments n’ont pas d’équivalent au Moyen Âge. On peut toujours trouver de petits exemples qui préfigurent les vacances scolaires. Cependant, déjà dans l’Antiquité, tous les pédagogues disaient que les enfants avaient besoin de périodes de repos dans leur éducation. C’est une idée très ancienne.